La Côte d’Ivoire, c’est terminé
J’écris cet article alors que j’ai un coup de mou, donc ça ne va pas être foufou à lire. Vous êtes prévenus.
Voilà plus de 5 mois que je suis revenue vivre en France. Le contrat de mon compagnon s’est terminé après 3 ans passés dans le même établissement à Abidjan. Lorsque la question de refaire un contrat de 3 ans au Ghana (pour que mon compagnon ait un poste dans une école française) ou de rentrer en France (pour que je puisse travailler, développer mon entreprise et en créer une nouvelle) s’est posée, mon compagnon a préféré privilégier sa carrière à la mienne. Et j’ai décidé que ma carrière était aussi importante, tout comme mes envies et mes rêves donc je suis rentrée en France.
Donc après 8 ans de couple à voyager, à profiter et à être expatriée, me voilà de retour seule, en France, avec une situation financière plus que précaire (je suis à 15€ d’être sous le seuil de pauvreté, ça en dit long). Dire que c’est difficile est en deçà de ce que je peux ressentir. Je ne sais pas ce qui me rend le plus triste: ne pas valoir autant qu’un travail, être dans la merde financière et du coup me dire que je ne voyagerais plus jamais et que je ne reverrais plus jamais mes amis à Madagascar, en Côte d’Ivoire ou que je vais devoir trouver un travail fixe en France et accepter que la routine fasse partie de ma vie.
Malgré tous les moments lorsque j’étais à Abidjan où je râlais face aux arnaques, aux comportements des hommes, face à tous ces menteurs (les prédicateurs, les évangélistes et toutes ces religions venues pour soutirer du pognon), j’avais quand même une belle vie. J’avais un grand appart, on sortait très souvent avec mon compagnon, on s’est fait plein de resto, nous avons aussi visité pas mal la CI, nous avons rencontré des gens formidables, vécu des trucs dingues (on a tourné dans un film!!! il sort en aout 2025 d’ailleurs) et oui, nous avions une vie privilégiée. Et oui, être une femme blanche avec des longs cheveux (le Saint Graal pour beaucoup d’ivoirienne) m’apportait énormément de regards admiratifs des jeunes filles et des gamines. J’avais clairement l’impression d’être une princesse lorsque mes cheveux étaient lâchés. Là bas les femmes grosses sont bien vues et même encouragée. Les poils aux jambes, sous les bras, au visage, ne posent de problème à personne et même si je savais que mon corps n’était pas très beau à voir, et bien ma foi, là bas, j’avais le sentiment d’être canon. Bien différent de la France où la plus grande peur d’un homme sur un site de rencontre est de tomber sur une femme grosse.
A l’heure où mes amies et les femmes de ma famille sont en couple, avec des enfants ou en passe de devenir parents, se retrouver seule et devoir reconstruire une vie ici me paraît insurmontable. J’ai l’impression d’avoir construit une maison à étage, de l’avoir aménagé avec soin, de l’avoir décoré avec mon amour et mes souvenirs et que quelqu’un s’est pointé avec un bulldozer pour défoncer l’étage et la moitié du rez de chaussée pendant que des mecs sont venus chier dans le jardin. Et que moi, je vais devoir reconstruire tout ça à mains nu et nettoyer le jardin.
C’est quand même terrible, j’ai une entreprise, j’ai une association, j’ai aidé des centaines de personnes via cette asso, je reçois des messages de gratitudes toutes les semaines de personne que j’ai aidé en Côte d’Ivoire et j’ai quand même l’impression de n’avoir rien construit, de n’avoir rien fait de ma vie, parce que je n’ai plus de compagnon, pas d’enfant, pas de bien immobilier et pas de boulot intéressant (non, femme de chambre ça n’est pas intéressant et ça n’est même pas valorisant). Et honnêtement, tout le monde s’en fout de mon expatriation. J’ai l’impression que ça n’a jamais existé. Entre ceux qui me reproche d’être parti, ceux qui font comme si ça n’avait pas existé et ceux qui s’en foutent, il n’y a pas grand monde avec qui je peux me remémorer mes souvenirs (bon, j’en ai parlé avec une copine expat à Abidjan, elle aussi rentrée en France, et elle fait le même constat).
En Côte d’Ivoire je n’avais pas de travail c’est vrai, je dépensais de l’argent qui n’était même pas le mien, je n’avais pas énormément d’ami (les différences sociales, dans les 2 sens, sont un vrai frein) et pourtant je ne me sentais pas si mal. Là bas j’avais l’impression d’être quelqu’un, d’être utile, à travers les actions sociales que je faisais, ce que j’organisais et tout l’amour que je recevais me faisais tellement de bien.
J’ai lié d’amitié avec Caroline et Annie, 2 ivoiriennes ayant une vie vraiment dure et compliquée (et moi je chiale parce que j’ai été quitté et que je n’ai pas de travail fixe. J’ai honte). Elles gagnent 120€ par mois, vivent dans des conditions précaires et se demandent parfois comment nourrir leurs gosses. Caroline a 5 enfants et parfois accueille d’autres enfants, Annie a 3 enfants et a quitté son compagnon parce qu’il l’a battait.
Caroline est née la même année que moi. En octobre 2023 j’ai décidé que je ferais l’anniversaire de chaque membre de la famille de Caroline. Et son anniversaire est tombé en 1er. Je lui ai fait un gâteau, une carte d’anniversaire, je lui ai acheté une pochette en tissu avec des produits de beauté et je lui ai offert. Elle a pleuré et vous savez quoi? C’était la 1ERE FOIS de sa vie qu’on faisait son anniversaire!!! A 36 ans! Elle n’avait jamais soufflé de bougie ni reçu de cadeau. Tous les enfants présents (les siens, ceux d’Annie et d’autres venus de je ne sais pas où) ont eu un morceau de gâteau après que Caroline ait soufflé ses bougies. C’était la fête et tous les gosses étaient excités comme des puces à la foire de la moquette. Et on a fait comme ça aux anniversaires des tous les gamins de Caroline tout au long de l’année (pour ceux d’Annie, ça n’était pas possible puisqu’ils sont témoins de Jehova. Cette décision m’a coûté).
Il y a eu aussi ces activités manuelles que j’organisais 2 fois par mois dans une bibliothèque avec des enfants qui ne savaient même pas découper ou utiliser de la colle. Certains n’ayant jamais été à l’école, tout était nouveau pour eux. On s’est retrouvé parfois avec 53 gamins pour ces activités. De 3 à 13 ans, pas facile de trouver une activité commune, mais avec Caroline, nous y sommes toujours arrivées.
Il y a aussi eu cette bibliothèque de rue, dont je vous avais parlé lorsque le bidonville d’Akouédo a été rasé. Des enfants qui ne savaient parfois même pas lire venaient, regardaient les livres et demandaient à ce qu’on leur fasse la lecture de 10 ou 15 livres. Avec Caroline B, une française et Caroline, nous avons remis ça en place et lorsqu’il n’y avait pas activités manuelles, il y avait bibliothèque.
Donc tous les mercredis pendant 6 mois, j’étais avec toute une tripoté de gamin qui me sautait dessus lorsque j’arrivais quelque part. Lorsque 12 gosses me sautaient dessus en criant « tata Myriam!!!!!!!! », j’avais clairement l’impression d’être une rock star. Et je ne sais pas comment vous raconter tous ces câlins que j’ai fait, que j’ai reçu, les bisous que j’ai distribués et ceux, tout timides (parce qu’on ne fait pas beaucoup de bisous en CI), que j’ai eu. Je ne vous parle pas de tous les je t’aime que j’ai prononcé, en espérant que ces quelques mots touchent ceux à qui je les disais.
Que restera t-il de tout ça? De quoi vont se souvenir Abigaël, 2 ans, Marie, 4 ans, Nao, 3 ans, Anaïs et Annaelle mes jumelles chéries de 3 ans? Que vont elles se rappeler de moi? Est-ce que tout l’amour que je leur ai donné sera conservé quelque part dans leur cœur et les aidera à grandir, à s’aimer, à se défendre contre la vie compliquée qu’elles vont avoir?
Et toutes mes grandes poulettes: Vanessa, Meira, Natanael, Karène, Kani, Anne-Marie, que vont-elles devenir et que va t-il rester de ce que je leur ai apporté? Avec ces grandes de 10-12 ans, j’ai organisé des matinée « carnet secret » où je les amenais à se poser des questions sur ce qu’elles voulaient dans la vie, ce qu’elles voulaient devenir etc. Ça dérivait très souvent sur des confidences, où elles me racontaient que leur cousine, grande-sœur, les tapaient, qu’elles devaient se coltiner la vaisselle pendant que leur cousin ou frère allaient jouer (et ça les mettait dans une colère folle), que leur maman les avait abandonnées parce qu’elle n’avait pas le temps de s’en occuper etc. Bref, toutes ces histoires tristes à pleurer, je les ai entendu, mais je n’ai rien pu faire. Et ça me brise tellement. J’ai l’impression de les avoir abandonné. Et on aura beau me dire que j’ai fait énormément pour elles, que les petits cadeaux que je leur ai donné (grâce aussi à la générosité des gens <3 ) les suivront toute leur vie, qu’elles se souviendront de nos discussions et de mes conseils (vous êtes fortes, intelligentes et personne n’a le droit de lever la main sur vous, quelque soit la raison et la personne en face), est-ce qu’elles auront une vie moins misérables que leurs ainées? Lorsque je suis rentrée en France, je suis allée voir un feu d’artifice dans un petit bled. Et quand je voyait toutes ces lumières, j’ai pensé à Karène, ou Natanael, qui auraient adoré voir ça. J’ai fini par rentrer chez moi en chialant.
Toutes ces personnes et leur amour me manquent tellement. Quand je repense à tout ces moments, j’ai l’impression qu’il me manque une partie de moi.
Alors me voilà en ce moment en France à me demander si je vaux plus qu’un travail, si ma personnalité ne va pas rebuter les prochaines amies que je rencontrerais, je me demande aussi quand diable j’aurai assez de pognon pour réaliser mes rêves (visiter l’Argentine, repartir à Madagascar et en Côte d’Ivoire, créer une seconde société, acheter un petit pied-à-terre), je ressasses ma vie et je commence à avoir des regrets: regrets de ne pas avoir travaillé à l’école, regret de ne pas avoir économisé assez d’argent, regret d’avoir trop profité de la vie et de ne pas avoir travaillé comme une acharné pour m’offrir une retraite pépouze. Je commence à regretter de ne pas vouloir de gosse, parce que peut-être que je me sentirais moins seule et moins inutile (heureusement que je n’en ai pas pour cette raison en même temps, quel poids pour les épaules d’un enfant ^^), je regrette aussi de ne pas avoir eu cette rencontre avec un homme qui m’aimerait quoiqu’il arrive et qui serait capable de me suivre au bout du monde (merci Insta pour tous ces réels faussé sur la vie de couple) et je regrette de ne pas avoir fait une scolarité « normale » qui m’aurait permis d’avoir des liens d’amitié indéfectibles et durables. Je me sentirais surement moins seule après ces années de voyages et de découvertes.
Me voilà donc en France, dans un hôtel à nettoyer des chambres à 450€ la nuit, me disant que 3 nuits serviraient à financer le salaire de bibliothécaire de Caroline, qu’1 nuit suffirait à payer les fournitures des travaux manuels pour 1 an et que 4 autres nuitées pourraient suffire à amener tous ces gosses en vacances dans leur pays, pour qu’ils découvrent autre chose qu’Akouédo, ses poubelles et ses égouts qui débordent, ses embouteillages, ses routes défoncées, ses toilettes publics, sa pauvreté et sa misère.
Me voilà donc impuissante, inutile et dépassée par toute cette colère et ce dépit.
Bon arrivée en France.