Coloriage et déguarpissement *

Depuis quelques semaines je vais avec Caroline, une française bénévole d’ATD Quart Monde, à Akouédo, un quartier pauvre d’Abidjan. Le nom est célèbre puisque c’est dans ce village qu’est située la décharge de la ville. A présent fermée, elle doit être réhabilitée.

Lorsque nous allons à Akouédo, nous sommes accompagnée d’une ou deux bénévoles ivoiriennes, Caroline (encore!) et Annie qui habitent sur place.

Mercredi 23 juin, nous sommes donc allées sur le coin de terrain que daigne nous prêter le pasteur afin de retrouver les enfants (notez que le pasteur n’a jamais proposé de nous mettre à l’abri dans son église pour ne pas être en plein cagnard ou à la flotte).

On a passé un bon moment. On a questionné les enfants sur leur école, si ils y allaient ou non (sur 28 je n’ai vu que 7 mains levées pour l’affirmative). On a leur a fait la lecture, on leur a laissé regarder les livres, les grands ont lu devant leurs camarades, les petites filles ont mis en place un atelier coiffure dans mes cheveux et après 1h passée avec les livres, nous avons sorti les coloriages et les feutres. Les gamins adorent ça.

Lorsqu’ils font du coloriage, souvent les gamins me demandent de dessiner sur leur feuille. La dernière fois un petit m’a demandé de dessiner une maison (je gère), un chat (passe encore), un perroquet (ça se corse) et… je lui demande de me répéter le mot parce qu’il me semblait avoir mal compris. Au bout de 3 répétitions, ce que j’avais compris la 1ère fois me semble exact. Le petit m’a dit « dessine-moi DIEU ».

Ah !

Bon alors …

Pfuiiii (qu’est-ce que c’est que cette demande ???)

J’ai fini par dessiner un cœur parce que « Dieu est Amour » et qu’en plus, ne sachant pas si le petit était catholique, musulman, témoin de Jéhovah ou évangéliste je ne voulais pas risquer un incident diplomatique.

Je lui redonne son dessin et il me rétorque « ça c’est un cœur, je t’ai demandé de me dessiner Dieu ».

J’ai fini par avouer que je ne savais pas comment faire (et ça n’a pas eu l’air de le contrarier plus que ça).

Autre anecdote, plus difficile à raconter. Dans le groupe, il y a Sadiya, 3 ans (ou à peine). J’ai parfois du mal à comprendre les ivoiriens avec leur accent mais en plus lorsqu’ils ont 3 ans et qu’ils baragouinent, ça se complique. Et avec elle, c’est compliqué. Donc cette petite fille est trop mignonne avec des joues de pomme à croquer et un caractère… miséricorde. Elle, elle sait ce qu’elle veut ! Hier je la vois partir avec son coloriage, un feutre et son carton (qu’on utilise pour mettre sous les coloriages vu que nous sommes par terre). Je la rappelle et lui demande de me rendre le carton.

Non !

Heu, bin si en fait (j’avoue que je ne m’attendais pas à une telle rébellion et que j’ai un peu manqué d’arguments).

Non ! (et prend son air boudeur ; j’avais envie de la croquer de bisous).

S’en suit un échange tout aussi inspirant où je finis quand même par sourire devant tant de mignonitude, Sadiya le remarque et commence à rigoler (l’autorité ça me connait). Elle finit quand même par me rendre le feutre, le carton et son dessin (en mode « si je ne peux pas avoir le feutre et le carton alors je n’aurai rien »). Et s’en va, très droite comme une princesse tout en me jetant des regards courroucés. Je n’oublierai jamais cette petite.

A la fin de cette session, beaucoup d’enfants nous ont demandé de ramener des coloriages et des feutres chez eux pour continuer à dessiner. On leur a dit que ça n’était pas possible mais le soir je commençais déjà à faire des plans sur la comète et à calculer combien de fonds je devrais lever pour leur acheter à tous un carnet de coloriage, une boite de crayon de couleur, une trousse et un taille crayon. Et je me suis dit que ça serait bien de rajouter un savon et un paquet de lessive pour la famille. Ensuite j’ai imaginé que je pourrais leur offrir ça en janvier, comme cadeau de Noël et leur rajouter une poupée ou une petite voiture.

Mais ça, ça n’arrivera pas. Cela n’arrivera pas parce que je ne reverrais sûrement jamais la petite princesse courroucée, les poupettes qui m’ont coiffé, Éloge qui a lu devant ses copains ou Emmanuel qui était malentendant et lisait sur les lèvres.

Je ne les reverrai pas parce que ce matin, jeudi 23 juin 2022, des bulldozers sont venus dans le quartier et ils ont tout démoli. Ils ont démoli les maisons de Sadya, Aïcha, Grâce, Béatrice, Eloge, Junior, Emmanuel, Zoé et des 20 autres gamins. Et pour ceux qui restent, les bulldozers ont détruit les toilettes et douches publiques.

La raison ? Tout le monde en a une différente : c’est la saison des pluies et l’endroit est dangereux et s’inonde facilement ; ils vont construire une route ; il y a un trafic de drogue et de prostitution ou encore l’assainissement n’est pas fait. Choisissez celui qui vous parait le plus crédible parce que, de toute manière, nous n’aurons surement jamais le fin mot de l’histoire.

Je suis allée voir sur place… C’est à peine croyable ! Des centaines de mètres de bois, de tôles et des groupes de femmes et d’enfants avec les casseroles, les chaussures dans des sacs de riz vide et les paquets de spaghetti dans les bassines attendant le long du chemin. Attendant quoi ? Je ne sais pas. La plupart n’ont pas de solution et ne savent pas où ils vont dormir la nuit. Parce que c’est comme ça à Abidjan. Tu vis dans un taudis sans eau courante, ni électricité, ni chiotte, ni douche, tu paies 30€ par mois pour ça, on te prévient que ta maison va être détruite sans date officielle et un matin les bulldozers se pointent et démolissent ta baraque pendant que tu es au travail sans que personne ne te propose de solution de rechange. Et, évidemment, les bulldozers ne viennent pas seuls mais accompagnés de toute une tripoté de CRS très fiers et très contents de faire leur travail.

Lorsque je suis allée devant l’église (toutes portes fermées) parce qu’encore debout, le pasteur était là. Il était très heureux de me dire que, oui, c’était bien lui le pasteur. Et lorsque je lui ai demandé si il y avait des familles qui dormaient dans l’église le soir même, il n’a pas répondu. J’ai eu du mal à déchiffrer son regard alors je lui ai posé la question autrement et il m’a dit que la plupart des gens avaient une solution de rechange dans la famille, chez des amis et qu’il (dans sa grande bonté) les avait autorisés à laisser leurs affaires sur le terrain de l’église le temps que les expulsés trouvent une voiture pour déménager. Je lui ai dit que la plupart des personnes à qui nous avions parlé n’avait pas de solution et qu’ils n’avaient pas de toit pour la nuit, ce à quoi il a répondu « bon, personne n’est venue demander l’autorisation de dormir dans l’église ». Vous aie-je signalé que cette église avait été construite grâce aux dons des gens du quartier et que lors de la 1ère messe, le pasteur a clamé que Dieu avait permis que le modernisme vienne jusqu’à l’église avec la climatisation ? Dire ça devant des personnes qui n’ont pas l’électricité et qui vivent à 6 dans un 8m², c’est assez osé !

Je ne crois pas que la suggestion d’accueillir ses ouailles au sein de la maison de Dieu ait beaucoup plu à Mr le Pasteur. Je me suis quand même permise de dire à un couple, sans solution pour la nuit, d’aller demander l’autorisation de se mettre à l’abri dans l’église. Demander l’autorisation de se mettre à l’abri dans un bâtiment qui a été construit grâce à son pognon, c’est quand même fort. Ou insultant, je ne sais pas

* déguarpissement: nom donné par les abidjanais pour désigner les expulsions et démolitions de maison.



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